Je m’étais dit que je n’écrirais pas ce billet. Parce qu’internet est déjà plein de message de gens qui expriment leur colère, leur tristesse ou leurs espoirs beaucoup mieux que moi.
Et puis je me suis souvenue que je l’avais déjà fait en Janvier dernier et que ça m’avait fait du bien. Et je me suis aussi rappelée que j’ai commencé ce blog, il y a presque dix ans, pour garder une trace de ce que je vivais mais aussi de ce que je ressentais. Bien avant qu’il ne me serve d’excuse pour des bons mots ou d’avoir la prétention de le transformer en prescripteur de produits culturels, ce blog, ici, c’est chez moi.
Et que si je ne raconte pas ça ici, je ne le raconterai à personne et qu’une fois que je serai vieille et sénile (demain donc) tout sera perdu pour toujours.
Alors revenons à ce week-end, cette plongée en enfer et à ce qu’il a probablement changé en moi à jamais.
Vendredi mes problèmes étaient hyper compliqués, je n’arrivais pas à avoir les réponses que je voulais d’une des équipes de dev, un junior avait fait n’importe quoi avec mes documents et les relations que j’entretenais avec un de mes meilleurs amis étaient flottantes.
On était vendredi, il était 19h et je n’avais pas du tout envie de rentrer chez moi. J’avais plutôt envie de trouver un bar sympa, des potes près à vider quelques pintes et à fumer beaucoup trop avec moi.
Parce que mes problèmes étaient tellement importants qu’il me fallait au moins ça pour les tenir à distance.
Mais on était vendredi, j’avais déjà prévu de sortir pendant le week-end et si je voulais éviter que Mini-Plop ne m’appelle un jour « Madame », il fallait rentrer. Alors je suis rentrée, pas tellement contente parce que mes problèmes prenaient toute la place dans ma tête et que j’étais OBLIGEE de rentrer chez moi.
Et soudain Twitter m’a appris qu’il y avait une fusillade dans le 11e.
Alors j’ai zappé sur iTélé et commencé à commenter les informations avec mon meilleur pote, pour essayer ensemble de comprendre ce qui se passait.
Jusqu’à ce qu’à 22h49, il m’apprenne qu’une de nos amis était au Bataclan.
Ce moment où j’ai réalisé que le matin même, j’étais en train de lui conseiller de bien se reposer et de récupérer pour ne pas laisser un petit virus l’empêcher d’aller voir un groupe qu’elle attendait de voir depuis si longtemps ; cet instant là où j’ai réalisé qu’elle était là-bas, en plein milieu de ce que iTélé affichait comme une « prise d’otage en cours au Bataclan », cette fraction de seconde-là m’a semblé durer une éternité.
Nous avons eu beaucoup de chance parce qu’on a eu de ses nouvelles très vite : à 23h05, on savait qu’elle était à l’hôpital et qu’elle grognait, ce qui était plutôt bon signe.
Le lendemain, on a appris qu’elle avait pris une balle, mais comme mes amis sont formidables, elle a trouvé le moyen de nous envoyer un petit message qui nous offrait de voir son horrible expérience sous le jour le plus « cool ».
Depuis je suis allée la voir et, même si elle croit qu’on ne la voit lorsqu’elle grimace de douleur dès quand la morphine ne fait plus effet, elle est forte pour ne pas qu’on s’inquiète trop, parce qu’elle sait qu’elle est en vie et qu’elle semble persuadé qu’elle doit au moins faire bonne figure pour tous ceux qui n’ont pas eu cette chance.
Tous ceux dont j’ai vu défiler les visages samedi et dimanche et pour lesquels j’ai espéré, de tout mon cœur, qu’ils retrouvent leurs proches vivants. Tous ceux pour qui j’ai pleuré dimanche soir au fur et à mesure que les mauvaises nouvelles tombaient.
Parce que ceux qui me connaissent savent que je suis ce que j’appelle une « chialeuse », que j’ai cette capacité de compassion qui frôle parfois le ridicule tellement elle est exacerbée chez moi, et que tous ces visages sur mon fil twitter m’ont fait pleurer des larmes sincères, pour leurs vies gâchées et pour l’immense douleur que leur proches allaient devoir affronter. Et comme je suis sans doute un peu maso, j’ai écumé le net tout le week-end, j’ai embrassé la douleur de mes compatriotes.
Et puis j’ai aussi trouvé de la lumière. Dès les premières minutes, quand mon fil Twitter s’est rapidement remplis du hashtag #PortesOuvertes, pour proposer à tous les gens qui avaient besoin d’un abri temporaire ou d’un toit pour la nuit de venir se réfugier chez les parisiens. J’ai pleuré de joie aussi sur ma timeline dimanche face au hashtag #MeetParisians qui proposait à tous les touristes choqués et démunis face à la fermeture des musées de partager un repas ou un verre avec les parisiens pour passer leur journée autrement que coincés dans leur chambre d’hôtel.
Et aussi sur #VoyageAvecMoi, pour que tous ceux qui avaient peur d’être agressés dans les transports pour absence de teint blanc-bien-de-chez-nous puissent ne pas voyager seuls.
Ma timeline était belle, des dessins de certains, des messages d’autres…
J’ai alors réalisé que mes problèmes si importants pour moi vendredi n’étaient même pas une goutte dans l’océan de souffrance dans lequel nous baignions tous.
Et puis mon mur Facebook a commencé à devenir beau aussi, avec des histoires de victimes aux gestes héroïques et d’autres victimes à la recherche de celui ou celle qui leur a sauvé la vie, pour les remercier.
Avec des textes écrits par ceux qui, même blessés au plus profond de leur âme, ont choisi la vie, l’espoir et l’amour :
Car au milieu de toute cette horreur, j’ai surtout vu de l’amour et de la tendresse. De la compassion et de la solidarité. Et aujourd’hui je sais tout ce que les terroristes ont voulu brisé chez nous, tout ce qu’ils ont espéré nous prendre et tout ce que nous leur avons laissé.
Je leur laisse leurs certitudes et je prends la légèreté.
Je leur laisse leur petitesse et je reve de devenir plus grande. Comme Danielle.
Je leur laisse la haine et la folie et je prends l’amour
Je leur laisse ma tranquillité d’esprit mais je garde la fraternité.
Parce que oui, aujourd’hui, je ne peux plus sortir sans avoir là, tout au fond, cette angoisse de trouver l’horreur ou la mort au détour du trottoir. Mais je refuse de poser un regard suspicieux sur le mec barbu qui monte dans le métro, ou sur la femme qui porte le voile et qui attend devant l’école de Mini-Plop. Même pas une fraction de seconde.
Parce que je sais maintenant que le temps de la terreur est arrivé jusque chez moi et que je peux être fauchée demain par n’importe quel mécréant qui a accepté de se faire laver le cerveau en échange d’un sentiment d’appartenance.
Je sais que je peux payer à n’importe quel moment pour les erreurs de mes aînés qui n’ont pas su offrir à une partie de la jeunesse de ce pays des rêves plus grands et plus accessibles que de se faire péter la tronche en emportant le plus de monde possible avec soi.
Et ce matin, quand les médias ont commencé à couvrir l’assaut à Saint-Denis, j’ai décidé d’éteindre ma radio. Pas parce que je ne voulais pas être submergée d’angoisse, pas parce que je refusais de regarder la réalité en face, mais parce qu’en dix minutes, les journalistes avaient déjà prononcé cinq fois le nom de l’âne qui aurait fait déferlé la barbarie sur Paris en ce vendredi 13 novembre 2015. Et que j’ai soudain réalisé que je connaissais le nom de Mohamed Merah mais pas celui de ses victimes, que je connaissais le nom des frères kouachi mais pas le noms de leurs victimes anonymes. Et que cette fois, je refusais de leur accorder ça. Je garde Lola, Hyacinthe, Mathias et Marie, Djamila, Ludovic, Julien, Stella, Guillaume et tous les autres avec moi, et je laisse l’anonymat engloutir à tout jamais leurs assassins.
Car je refuse de continuer sur le chemin que ces barbares ont tracé pour moi maintenant que je me suis rendue compte à quel point la haine et la colère sont lourdes à porter.
Elles s’embrasent facilement mais consument tellement d’énergie pour continuer à brûler… Et je n’ai pas ce temps-là à leur consacrer. Parce que je ne sais pas combien de temps il me reste.
Mais j’ai découvert que l’amour c’est peut-être plus difficile à allumer, mais qu’ensuite, ça s’alimente tout seul et qu’étrangement, ça vous rend léger.
Et pour ça, je dois remercier les gens de Provoc Hellfest, un « Collectif pour l’arrêt des subventions publiques au Hellfest ( 1 700 000 € à ce jour) tant que sont invités des groupes anti chrétiens, satanistes ou occultes » qui ont eu l’infinie délicatesse de tweeter un message hallucinant lundi.
J’étais furieuse en le lisant. J’ai cherché comment être la plus désagréable possible. Mais je ne trouvais pas de mots assez haineux. J’ai laissé le message de côté, faute d’acidité suffisante, et j’y suis revenue 3 fois, avec toujours plus de rage et de colère, mais toujours pas assez de violence à mon goût.
Et puis j’ai repensé à Antoine et je me suis dit que moi aussi, je pouvais refuser de donner ma haine. A la place j’ai envoyé de l’amour. Sans cynisme, aucun.
Et je suis passée à autre chose. Et c’était tellement facile.
Désormais, pour les 129 personnes qui sont décédées, coupables d’avoir choisi de profiter de la vie, je ne veux plus m’encombre de haine.
De ce week-end horrible, je ne garde que l’amour.
Et à chaque fois que j’oublierai, il me restera ce billet pour me souvenir pourquoi j’ai choisi cette voie.
20 novembre 2015
Tellement touchant! Je partage tes sentiments et ton émotion … Vive l’amour…
19 novembre 2015
<3
19 novembre 2015
Tout plein d’amour pour toi et tu as raison, ne donnons pas aux terroristes l’attentions qu’ils veulent, ne nous encombrons pas de soucis inutiles. Prenons soin de nos proches et partageons amour et aide envers ceux qui sont perdus. Tu as bien fait d’écrire ce billet, il est magnifique. Et merci pour cette invitation « chez-toi », cela fait plaisir de voir que tu es encore plus formidable que ce que je pensais <3
19 novembre 2015
Merci
Et oui, on va partager plein d’amour. Non Stop. Aussi longtemps qu’on en aura le temps.