[Les Chants de Mer] L’expulsion

  1. [Les Chants de Mer] La fin de l’innocence
  2. [Les Chants de Mer] Entre quatre murs
  3. [Les Chants de Mer] L’expulsion

Dans les épisodes précédents, la jeune barde Mer Terwyn avait imprudemment mis en musique les textes d’un livre inconnu trouvé dans une bibliothèque. Enfermée pendant plusieurs années dans un cloitre sans en connaitre exactement la raison, cela fait maintenant plusieurs jours que son mentor, le doyen de la communauté n’est plus venu la voir.

La mort du doyen

Un jour, le doyen ne vint pas. Ce n’était pas dans ses habitudes de rater nos leçons et quand des obligations l’empêchaient de venir me voir, il prenait toujours soin de me prévenir quelques jours à l’avance. Lorsque pour la seconde fois il ne se présenta pas à nos entrevues, je commençais à vraiment m’inquiéter. Ciliwyn me dit qu’il n’avait aucune idée de ce qui se passait et n’avait entendu aucune rumeur à ce sujet.

Finalement au bout d’une semaine sans nouvelles, le fracas que fit la porte de ma chambre en tapant contre le mur me réveilla en sursaut. Dans l’encadrement de la porte se tenait un homme dont la silhouette m’était familière.

Je ne remis son visage que lorsqu’il s’approcha de moi. Pétrifiée et surprise, le regard encore embué de sommeil, je remontais le drap jusqu’à mon cou quand je reconnus ses petits yeux emplis de colère. Il se pencha encore davantage, jusqu’à ce que sa bouche effleure mon oreille et dans un souffle rauque prononça sa sentence :

« Mer Terwyn, profitez encore quelques instants de la chaleur de ce lit, c’est la dernière fois. »

C’était Menorahk, l’homme qui, quelques années plus tôt, avait élevé la voix contre le doyen Theodeal, juste devant mes appartements…
Il se redressa, me toisa de toute sa hauteur, et se tourna légèrement vers la porte sans me quitter des yeux une seconde.

Je m’aperçus alors que nous n’étions pas seuls. À l’entrée de ma chambre se tenaient 8 ou 9 personnes, dont la majorité avait une allure sentencieuse et était vêtue exactement comme lui, exception faite de la grande écharpe qui tombait sur chacune de ses épaules. Je reconnus immédiatement cette écharpe, je l’avais vue chaque semaine pendant toutes ces années, autour du cou de Theodeal.
Mon cœur s’arrêta.
« Mer Terwyn, vous avez suffisamment profité de notre trop généreuse hospitalité. Votre séjour en ces murs arrive à son terme, dès aujourd’hui. Veillez à avoir quitté les lieux d’ici la fin de la journée, avant le dernier service religieux. ».

L’annonce

Il se retourna vers les autres membres du clergé et comme s’il s’agissait là d’un signal silencieux, ils se dispersèrent dans le couloir. J’eus juste le temps d’apercevoir le visage terrifié de Ciliwyn, avant qu’il ne soit emporté par le mouvement de repli généralisé.

Désespérée, je tendis la main vers le nouveau doyen.

« Attendez Menorahk ! Je n’ai nulle part où aller !
– Et qu’est-ce que cela a à voir avec moi ou même avec cette communauté ?
– Mais, ne suis-je pas…

Je ravalais mes larmes, cherchant mes mots un instant, soupesant chacun d’eux, avant de baisser les yeux. Je déglutis difficilement et murmurais.

– … une menace pour le reste de l’humanité ? »

Il fondit sur moi tel un oiseau de proie, arrêtant son visage à quelques centimètres du mien.
« Nul ne le sait, puisque Theodeal était trop buté pour tenter la moindre expérience avec vous. Il est possible que maintenant, tout se soit effacé ou, au contraire, que tout se soit amplifié. Nous ne le saurons jamais parce que vous allez déguerpir. » Il se redressa, glissa une main dans son habit et en sortit une bourse qu’il jeta sur les draps.

« Et vous ne serez donc plus une menace pour personne, dans ces murs ou à l’extérieur, parce que vous allez partir loin, très loin d’ici et ne jamais revenir. Une nef part pour le nouveau continent demain matin, la fortune silencieuse. Le capitaine a été prévenu de votre arrivée, il vous attend. On va venir vous déposer vos affaires personnelles. N’emportez rien d’autre ; ici, rien ne vous appartient. Vous avez déjà assez profité de nous. Partez et ne revenez jamais. Je suis sérieux, Mer Terwyn : Ne remettez jamais les pieds ici, dans cette ville. Vous en avez déjà assez fait, maudite. »

Et sans un mot, ni même un regard, il quitta la pièce. J’attendis un instant, afin d’être certaine qu’il n’allait pas revenir, enfonçais mon visage dans l’oreiller et pleurais tout mon soul, jusqu’à retomber dans le sommeil.

Le plan

Il était déjà midi passé quand j’émergeais à nouveau. Mes yeux gonflés me rappelèrent très vite que l’épisode matinal n’était pas un mauvais rêve et je rabattis les draps sur ma tête quelques instants.
Je n’aurais bientôt plus de toit et j’étais désormais seule. Vraiment seule, contrairement à ce que j’avais cru pendant ces dernières années. Il me fallait une stratégie, un plan pour savoir ce que j’allais faire ensuite.
Menorahk me terrifiait, mais je n’avais aucune intention de quitter le continent, que mon billet ait été payé ou non.
Je devais retrouver Reynerhian, mon maître, au plus vite, reprendre le cours de mon apprentissage, récupérer ma vie.
Cette idée me redonnait un peu de courage et je me levais enfin. Je décidais d’emporter mes deux robes, qui même si elles étaient assez rustiques ne serviraient à personne d’autre au sein de ce cloitre, revêtait un pair de hautes chausses et par-dessus une paire de braies. Après avoir passé autant de temps enfermée, je craignais autant le froid que l’étrangeté du monde extérieur.
J’avais désormais une solution pour au moins l’un des deux. J’enfilais un plastron à la hâte et commençais à fouiller dans les piles de livres qui couvraient le sol autour de mon bureau. Il devait y avoir là un recueil de légendes du cru ainsi qu’un ouvrage sur la poésie que Theodeal m’avait offerts à mon arrivée dans cette chambre.


Avec ceci en poche, j’aurais au moins un peu de matière pour quelques représentations si je devais gagner quelques deniers supplémentaires pour pouvoir rejoindre mon maître.
Je finis par les retrouver. Et malgré l’injonction de Menorahk de ne rien emporter, j’en glissais un à ma ceinture, dans mon dos. Je fourrais l’autre tout au fond du sac de voyage qu’on avait déposé devant ma porte.
Même si je devais être fouillée à ma sortie, j’espérerais qu’au minimum un des deux livres échapperait à l’inspection.

Le départ

Le sac de voyage était ridiculement petit. C’était celui qui me servait à transporter mes effets quand nous étions sur les chemins avec mon maître. Je réalisais soudain le temps passé ici, le temps perdu. L’idée me percuta avec une telle violence que je terminais d’emballer mes affaires depuis d’épaisses brumes, comme sonnée par cette prise de conscience.
Lorsque j’ouvris la porte de ma chambre, je tombais nez à nez avec un homme qui semblait m’attendre.
Il me guida au travers du dédale de couloirs où, sans sa présence, j’aurais pu m’égarer cent fois.
En traversant la cour, je jetais un dernier coup d’oeil en arrière en direction de l’important bâtiment qui fut ma maison et que je n’avais jamais visité. Un mouvement à une fenêtre attira mon attention.
Menorahk souriait en me regardant définitivement quitter son nouveau domaine. Je priais fugacement pour ne plus jamais le recroiser et je suis certaine qu’il en fit de même.

Ce ne fut qu’une fois que la double porte de l’enceinte du cloitre se fut refermée sur moi que je réalisais que personne n’avait pris la peine de me fouiller. On voulait juste me voir partie et au plus vite.

Je restais un moment debout, seule, au milieu d’une rue d’une ville qui m’était inconnue

À suivre

Author: Diraen

Pour maîtriser un peu mieux le concept de la Diraen (qui se prononce « dira haine »), il faut considérer que je suis maintenant une femme de 40 ans, qui aime tellement les jeux vidéo qu'elle travaille désormais à leur production et qui raconte sa vie ici, plus ou moins régulièrement, depuis plus de 15 ans.

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