Le réveil
Je ne devais jamais revoir mon maître. J’appris bien plus tard, en recherchant sa trace qu’il était décédé peu après m’avoir abandonnée au monastère. Terrassé par une crise cardiaque. Je ne sus jamais si la peur et le désespoir qu’il avait ressenti ce jour-là à la bibliothèque avaient eu raison de lui, si c’était la tristesse et la culpabilité de m’avoir perdue qui l’avaient emporté ou si c’était encore… autre chose…
Quelques jours plus tard, le doyen de la communauté religieuse qui m’hébergeait m’expliqua de la façon la plus laconique possible que ce qui était arrivé à la bibliothèque n’aurait jamais dû se passer, que je représentais peut-être un danger pour la société et qu’il valait mieux pour tout le monde, moi y compris, que je reste ici quelque temps.
Ce furent dix années mornes et tristes.
Le doyen Théodeal passait une à deux fois par semaine m’entretenir de religion et de panthéon. Le reste du temps, je ne voyais personne et n’avait d’autres distraction que de lire et relire les livres d’études qu’il laissait dans ma chambre.
Et il éludait systématiquement toutes questions à propos de la fin de mon séjour ici.
Résignée, je finis par cesser de poser la question, m’imaginant qu’à la suite des événements dans la bibliothèque, la justice m’avait condamnée à un séjour en ces murs à perpétuité, malgré mon jeune âge, et que le doyen n’osait pas m’en informer.
Le cloitre
Je ne croisais que deux autres visages en plus de celui du doyen pendant des années.
Celui d’une grosse matrone (que je soupçonnais être la cuisinière aux vues des effluves épicées et gourmandes qui émanaient de ses vêtements) qui, au moment de ma puberté, vint m’entretenir des choses de la vie d’une femme, et le visage d’un homme qui vint un jour interrompre l’enseignement que me donnait le doyen sous prétexte d’un entretien urgent entre leurs deux personnes.
Quand ils furent sortis je les entendis échanger quelques phrases devant ma porte, l’homme s’offusquant de l’argent que cela coûtait de me garder ici alors que jusqu’à présent aucune des manifestations attendues ne s’étaient produite et le doyen argumentant fermement qu’il n’était pas question de me libérer sur une humanité qu’il se faisait un devoir de protéger. Comme le ton de leurs échanges montaient, je les entendis s’éloigner dans les couloirs.
Plus tard, le doyen répondit de la façon la plus laconique qui soit à mes questions et la seule chose que je pus apprendre fut le nom cet homme, Ménorahk et qu’il était l’un des membres du conseil, sans que je n’arrive à apprendre de quel conseil il s’agissait exactement.
Je n’eus le droit de récupérer mon luth qu’après cinq années d’isolement, en échange de la promesse de ne plus jamais chanter pour accompagner mon instrument. J’avais beaucoup perdu, mais n’ayant pas grand-chose d’autre à faire que de pratiquer quotidiennement, je rattrapais rapidement mon retard et atteint un niveau de pratique supérieur à celui que j’avais avant l’incident.
Quelque temps plus tard, le doyen m’offrit un vieil ocarina et me fit déménager dans une chambre plus cossue qui donnait sur des jardins intérieurs.
Il y avait peu de passage et les gens que j’apercevais étaient bien trop bas pour que je puisse détailler leurs visages, mais le paysage était agréable et il y avait dans ma chambre une bibliothèque pleine de recueil de poésie.
On m’avait interdit de lire les écrits à haute voix et je respectais scrupuleusement cette consigne de peur qu’on me retire le peu que j’avais déjà attendu si longtemps.
Mais la poésie en m’offrant un espace de fuite avait sans aucun doute un effet positif sur ma personne. J’étais plus apaisé, moins angoissée et la solitude me pesait moins.
Une routine sans fin
C’est à cette période que Ciliwyn commença à venir me rendre visite, se glissant dans ma chambre aux premières lueurs du jour et s’éclipsant systématiquement lorsque je faisais mes ablutions, avant l’arrivée du doyen.
C’était un jeune garçon à peine sorti de l’adolescence, qui portait les mêmes vêtements que les gens qui déambulaient dans les jardins, sous ma fenêtre. Je me doutais qu’il avait récemment intégré le culte et était ravi de partager quelques heures avec une personne de son âge avant de vaquer à ses occupations journalières. Il était incroyablement gracieux, agile, attentif et silencieux.
Je ne l’entendais jamais arriver ni jamais partir. La discrétion incarnée. Je le trouvais assis à mon bureau, consultant mes dernières lectures quand je me réveillais le matin, nous discutions longuement et lorsque je me décidais à aller enfiler une tenue décente, juste avant que ne sonne le premier service religieux, je trouvais toujours une chambre vide à mon retour, mon compagnon étant parti.
Je n’avais pas le droit d’errer à ma guise dans les couloirs ou d’aller à ma guise déambuler dans les jardins. Aussi confortable que soit ma chambre, j’en étais bel et bien prisonnière. Mais je finis par m’habituer à ce monde étriqué, dont la seule porte de sortie était la bibliothèque. Je m’évadais à travers des ouvrages des toutes sortes et Théodeal m’en ramenait toujours de nouveaux à chacune de ses visites.
Inlassablement, je lisais, pratiquait la musique, discutais d’histoire et de dogme avec le doyen, ou, suivant les jours de la semaine, lisais des livres sur le sujet et méditait sur ces nouvelles connaissances jusqu’à la tombée de la nuit. Dès le lendemain matin, j’exposais mes réflexions à Cyliwinn qui m’écoutait toujours avec beaucoup d’attention et le cycle recommençait, lecture, musique, apprentissage, etc., indéfiniment.
Cette période fut presque douce et heureuse.
Elle prit fin deux ans après, à la mort du doyen.
À suivre
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