Cet article est destiné à ma nouvelle table, composée exclusivement de joueuses qui débutent, dans une société med-fan (Donjons&Dragons 5e édition en l’occurrence).
Ce questionnaire (d’ailleurs, merci aux copains MJ pour la relecture et les encouragements) leur est envoyé après leur première partie d’initiation, je les ai donc briefées rapidement sur le monde mais je m’appuie, de toute façon, sur le fait que grâce aux films, série et autres jeux vidéo, les univers médiévaux-fantastiques ne leur sont pas totalement étrangers.
Si on jouait à Polaris, ça serait un peu différent. Quoique.
Très souvent lorsqu’on débute le jeu de rôle, on a devant soi cette fiche de perso qu’il va falloir remplir avec des chiffres et on est tellement appliqué à comprendre les mécaniques de jeu qu’on peut facilement en oublier qu’on ne fait pas que jouer un personnage, on est censé l’interpréter. Et on finit par être « soi-même » mais juste avec des oreilles d’elfe et une épée. Un personnage un peu vide.

Antony Gormley – Domain Field (2003).
Entendons-nous bien, interpréter ne veux pas dire monter sur la chaise et déclamer ses tirades avec une voix de stentor en agitant les bras dans tous les sens.
Vous n’êtes même pas obligé de modifier votre diction.
Il s’agit d’incarner un personnage qui est distinct de vous, parfois avec des réactions, des valeurs et des perspectives différentes des vôtres. Et être qui tout au long de l’aventure va rester cohérent avec lui-même.
Et pour ça, le mieux est de le « connaitre » pour pouvoir l’appréhender comme une entité à part entière. Pour ce faire, je vous propose de répondre à quelques questions simples, mais, je l’espère, pertinentes qui vous offriront quelques pistes pour lui donner du corps, de la structure et une certaine altérité.
Les lignes de vie
Essayons de tracer les grands axes qui ont structuré la vie de votre héros jusqu’ici. Pour ça, sous forme de liste d’une seule phrase, raconter les 3 périodes principales de l’existence de votre personnage :
- son enfance
- son adolescence
- sa vie de (jeune) adulte
ex. :
- abandonné dans un temple de Helm et élevé par des vestales
- envoyé à la puberté en apprentissage chez un forgeron
- recruté contre son gré par l’armée pour 5 ans de service après une soirée de beuverie.
Sa classe et/ou race
Commencez par ce qui vous inspire le plus puis enchaînez avec l’autre option.
Si vraiment rien ne vous vient, passez au paragraphe suivant, nous reviendrons sur ces deux points ultérieurement.
Classe
Si vous avez déjà une idée de la classe que vous souhaitez jouer, expliquez d’une phrase quelle est la motivation de votre personnage ? (passion, tradition familiale, prédestination raciale, obligation sociale, etc.) ex. : depuis toujours passionné par la musique, Elven s’était rêvé barde. Mais la tradition familiale voulait que le dernier-né soit envoyé à l’École de la pierre de jade. Et voilà comment il s’était retrouvé magicien-commerçant, négociant les ventes de riches étoffes et déployant sa magie pour protéger les livraisons pour le commerce familial.
Sa race ou son ethnie
Si vous savez quelle race ou Ethnie vous voulez jouer, quelle activité vous pourrait la plus adaptée à votre image mentale ? Quelle classe s’en rapproche le plus ?
Une vie sociale
Maintenant que votre perso commence à prendre forme et que son histoire personnelle se précise, il faut peupler son passé. Imaginez des gens qui ont été importants pour votre personnage aux 3 moments de sa vie (pas besoin de les nommer pour le moment) :
- 3 pour l’enfance (une mère, un frère, une enseignante…)
- 2 pour l’adolescence (un amour, un commerçant, une amie)…
- 2 pour l’âge adulte (une collègue, un mentor, un enfant protégé, une figure locale connue)
À présent, ajoutez en 2 à la période que vous voulez.

par BoitaTackey
Maintenant, choisissez 3 de ces personnages qui seraient aujourd’hui encore vivants et choisissez :
- leurs noms et prénoms
- leurs activités professionnelles (la retraite est une activité comme une autre. La mort, non)
- l’endroit dans lequel ils résident ou devraient résider à votre connaissance (si vous ne savez pas, définissez l’endroit où vous les avez vus pour la dernière fois)
- Dans quelles circonstances les avez-vous quittés la dernière fois ? (sur une entente cordiale, effondrés par votre départ, vous aidant à porter vos bagages jusqu’au bateau, après une violente dispute, etc.)
Si cette phase vous a inspiré une classe ou une race/ethnie, retournez au paragraphe précédent, sinon, pas d’inquiétude, on y reviendra.
Vous avez désormais un passé suffisamment solide pour avoir une idée de qui vous incarnez sans que votre caractère soit tout à fait défini.
Un être complexe
Le personnage que vous allez interpréter commence à se dessiner. Mais pour le moment, il est lisse. Très bien. Et on sait que les personnages parfaits, ce n’est pas vraiment attachant…
En général, ce psychotique de Batman emporte plus l’adhésion que Superman, peut-être parce qu’il a plus de potentialités narratives, laissé derrière lui davantage d’erreurs à corriger, de conséquences à assumer…
Quelles sont les failles et les faiblesses de votre personnage ?
Vous n’êtes pas obligé de répondre à toutes les questions listées ci-dessous, après tout le plaisir d’incarner un perso vient aussi de voir ses contours se préciser au fur et à mesure des expériences qu’il vivra à chaque partie.
Voici donc quelques pistes, choisissez celles qui vous parlent :
1) comment était l’enfance de votre personnage, était-il calme ou agité, solitaire ou très (trop) entouré ?
2) Quelle est sa pire peur ? Est-ce qu’il a une ou plusieurs phobies ? (vide, sang, folie) ou des obsessions (objets brillants, félins) ?
Le champ des possibles est large et va de la simple peur panique des araignées au cauchemar récurrent qui vous réveille 2 nuits sur 3 (et vous a déjà valu d’être expulsé de certaines auberges), en passant par le fait d’être incapable de ne pas essayer de caresser un chat quand vous en croisez un.
3) Quelle a été la plus belle victoire, la plus belle réussite de votre personnage jusqu’ici ? Et quelle est sa plus grande douleur, son plus grand échec ?
Avoir perdu en finale du concours de vers rimés ou ne pas avoir réussi à sauver son mouton préféré des attaques d’un ours peut être suffisamment marquant. Même si ces deux exemples n’impliquent pas les mêmes traumas ni les mêmes réactions à certaines situations, ils restent quand même de bons ressorts narratifs.
Un barde paralysé par les joutes verbales ou mauvais perdant est tout aussi savoureux qu’une rôdeuse effrayée par les ours ou obsédée par leur extermination systématique.
Pas la peine de partir dans des faits épiques ou dramatiques, ni de rédiger 5 pages sur cet événement, cependant le simple fait de l’avoir envisagé va impacter ce que vous allez donner comme trait de personnalité à votre persona.
4) Essayez de définir le ressort profond de votre personnage, sa motivation, son profil et aussi son excès.
Ce point est complexe et peut n’apparaîtra qu’après quelques partie, quand vous serez davantage familier avec l’univers et que vous aurez commencé à vous approprier votre personnage.
Ex. : c’est un profil protecteur, il fera tout pour aider les gens en détresse, prendre les orphelins sous son aile, etc.
Poussé à l’excès, ce trait de caractère peut inciter votre personnage à ne pas laisser les personnages qu’il considère comme faibles, faire leurs propres choix.
Un profil Robin des Bois peut finir par voler et ruiner sans distinction, aussi bien des gens de basse extraction qui ont fait fortune à force de travail que de nobles héritiers qui n’ont aucune idée de la valeur de l’argent.
5) Petite question pratique : Quelle est la relation de votre personnage avec le panthéon ? En appelle-t-il parfois aux dieux ? Si oui, auquel ?
N’hésitez pas à demander à votre MJ l’état du panthéon et, plus globalement, de la religion dans l’univers dans lequel vous jouez. (Faire un personnage athée, dans un univers où l’existence des dieux est un fait prouvé et admis de tous, peut-être un trait de caractère important).
Si vraiment tu ne t’en sors pas, jette un œil à cette aide de jeu D&D5 : Les historiques
Aujourd’hui et maintenant
Maintenant, attaquons-nous à ce qui motive votre personnage au moment où vous allez l’incarner pour la première fois.
Ces éléments seront sûrement amenés à bouger au fil des scénarios, surtout si vous vous lancez dans une campagne, mais il est toujours intéressant d’en être conscient lors de la première partie
- Avec quelles valeurs votre personnage ne transigera-t-il pas (travail des enfants, racisme envers certaines espèces, assassinat, injures aux dieux) quitte à mettre sa vie en péril ?
- Quelle est son ambition ? À quel moment sera-t-il suffisamment satisfait pour vouloir se poser, ouvrir une petite échoppe ou s’acheter sa propre ferme et quitter les routes ?
Cet objectif va probablement changer avec le temps, mais quel est-il aujourd’hui ? - Est-ce que votre personnage appartient à un culte, une mafia, une guilde, une famille, ou quoi que ce soit qui puisse s’apparenter à un réseau ?
Si oui quelles sont les priorités du personnage entre ses intérêts personnels, ceux de son réseau, sa famille (ou assimilée) et ceux de ses compagnons ? S’il doit faire un choix, dans quel ordre les fera-t-il passer ?
Si vous n’avez pas encore choisi la classe et/ou l’ethnie de votre personnage, c’est à ce moment que ça se passe.
Maintenant que vous connaissez mieux votre personnage, dans quelle profession le verriez-vous le mieux évoluer ?
Si rien ne vous inspire, procédez par élimination. Est-ce que vous avez envie de vous livrer à la magie ? Est-ce que vous préférez les combats au corps à corps ou à distance ? Etc.
Et quelle race ou ethnie vous inspire ? Si rien ne vient, jouez l’optimisation : regardez les caractéristiques importantes pour votre classe (dextérité pour un voleur, intelligence pour une magicienne) et choisissez votre race en fonction (elfe ou halfelin pour la dextérité, gnome pour l’intelligence).
Si vraiment aucune race ne vous inspire, rester sur ce que vous connaissez (enfin, normalement !) et incarnez un humain.
Si vraiment tu ne t’en sors pas, jette un œil à cette aide de jeu D&D5 : Les races et les classes
La touche finale
Il ne vous reste plus qu’à déterminer, si ce n’est déjà fait, le nom, le sexe, l’âge et ce à quoi ressemble votre personnage.
C’est aussi le moment parfait pour intégrer votre background à son apparence physique. Porte-t-il une cicatrice héritée de son enfance ? Est-il toujours affublé d’une grande cape noir qu’il tient de son mentor et qui lui donne une allure inquiétante ?
Etc.

Amazon Warrior by Speira Miniatures
Derrière le personnage
Quelques questions à la joueuse maintenant.
Pour vous assurer la meilleure expérience possible, établissez vos propres règles et limites, et partagez-les avec votre Maître de Jeu.
Est-ce qu’il y a des sujets auxquels vous ne voulez pas du tout être confrontée lors de la partie (esclavage, agression sexuelle, torture, viol, araignées, etc.).
Si oui, listez-les et discutez-en avec votre MJ (moi donc), il doit savoir si vous ne voulez pas les vivre ou si tout simplement vous ne voulez pas y être confrontée du tout, même indirectement par le biais de la narration.
On peut être ok pour croiser une araignée et ne pas DU TOUT vouloir entendre sa description visuelle.
Il y a ce que certains rôlistes appellent les voiles et les lignes : les lignes que l’on ne franchit pas et les scènes sur lesquelles ont jettent un voile pudique.
Essayez d’identifier les vôtres.
Soyez les plus précises possible et ne craignez pas d’être pénibles.
Êtes-vous d’accord pour qu’on vous parle mal? Est-ce que votre personnage peut subir du racisme? Êtes-vous d’accord pour qu’une autre joueuse attaque votre personnage et potentiellement le tue ?
On est toutes là pour passer un moment agréable et je préfère avoir à réécrire une page de mon scénario plutôt que de voir une joueuse quitter la table parce qu’en fait, l’expédition dans la grotte arachnide l’a dégoûtée de jouer.
Et on sait que le consentement, c’est essentiel.
Maintenant qu’on a couvert le plus important, je pense qu’on est prêtes à jouer !
Image principale de l'article par DCP Media
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